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"Attention, ceci n'est pas un rpg comme les autres" prévient le jeu sur sa page steam, ainsi qu'au lancement d'une nouvelle partie des fois qu'on n'aurait pas compris lors de l'achat. S'il est vrai qu'on voit rarement des développeurs vendre leur jeu en affirmant "Attention, ceci est un rpg comme les autres, vous ne trouverez rien d'intéressant là dedans", il est cependant plus rare qu'ils suivent leur communication par "Nan mais ça veut pas dire que vous allez trouver ça bien hein, jouez pas au con, essayez la démo avant", suivi d'une liste détaillée de toutes les caractéristiques qui rendent effectivement ce rpg original, où on a limite l'impression qu'ils s'excusent pour leurs choix de design. D'une manière générale, les développeurs de The Age of Decadence font preuve d'une honnêteté qu'on ne peut que qualifier de rafraîchissante, comme on peut le voir par exemple sur ce lien : https://steamcommunity.com/games/aod/an … 9049560605.

The Age of Decadence est un rpg en vue isométrique avec des combats au tour par tour à base de points d'action. Le jeu commence par la création de son personnage, à qui on alloue un certain nombre de points dans des compétences qui peuvent être de combat ou sociales. Ce personnage va être un gros random qui tente de se faire son trou dans un monde hostile, et en fonction de ses choix au cours de l'aventure, on aboutira à une fin parmi plusieurs dizaines possibles. Bref, c'est du rpg de l'ouest old school à la Fallout, en apparence tout à fait classique.

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On ne va pas se mentir, de prime abord, ça ne vend pas du rêve.

Là où repose la fameuse originalité de The Age of Decadence, c'est jusqu'où il pousse le concept de choix et conséquences si cher aux joueurs de rpg de l'ouest. Une première chose qui interpelle à la création de personnage, c'est qu'il y a à peu près autant de compétences sociales que pour le combat. Et les compétences sociales ne sont pas là juste pour offrir de temps un temps un choix du type "bon là je peux convaincre ce type de partir plutôt que de combattre", mais sont mises à contribution tout le temps, dans le moindre dialogue. D'ailleurs, les compétences de combat, ainsi que les statistiques de base (on retrouve les classiques du genre, à savoir force, agilité, perception, constitution, intelligence, charisme) interviennent elles aussi régulièrement dans la résolution des dialogues (et à l'inverse, certaines compétences sociales, telles que le crafting ou l'alchimie ont en réalité une très grande utilité pour le combat). Ces skill checks sont le plus souvent visibles (par exemple, si vous essayez de convaincre un groupe de bandits de grand chemin de ne pas vous égorger là tout de suite pour vous piquer vos chaussures, c'est assez explicite que c'est un jet de persuasion) mais peuvent aussi être cachés (par exemple, le principe d'un jet de perception pour deviner qu'un personnage vous ment, c'est que s'il est raté, vous n'êtez pas censé savoir qu'il y en avait un).

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L'écran de création de personnage donne une assez bonne idée de ce à quoi on peut s'attendre.

La principale conséquence, c'est que l'expérience de jeu change radicalement en fonction de l'allocation des stats et talents. Il est tout à fait viable de mettre la totalité de ses points dans les compétences sociales, et de faire le jeu comme un visual novel en évitant tout combat (il n'y aura de toute façon pas vraiment le choix, un personnage de ce genre étant une crevette anémique pour qui le moindre clodo armé d'un bâton représente une menace mortelle), ou au contraire de tout mettre dans le combat et de jouer une brute qui résout tous ses problèmes en les tabassant à mort, mais dans un cas comme dans l'autre, des pans entiers du jeu resteront fermés.

Au passage, le système de combat est très rng et pas particulièrement intéressant, et je soupçonne que ce soit parfaitement voulu par les développeurs qui souhaitent que le combat ne soit vu que comme une solution de dernier ressort. De toute façon, à moins d'investir massivement dans les talents de combat, il est difficile de ne pas se retrouver en difficulté dès que l'on a affaire à plus de trois adversaires en même temps, ce qui peut arriver assez vite si vous décidez de faire le malin. Mais de toute façon, pourquoi s'emmerder à combattre à soi tout seul un camp de soldats quand on peut juste empoisonner leur bouffe, ou encore convaincre un autre camp de faire le sale boulot à sa place ? D'ailleurs de manière générale, même durant les combats eux-mêmes, le jeu encourage à se comporter comme une ordure, en utilisant toutes les possibilités pour se donner un avantage, comme viser les yeux ou les bras de l'adversaire ou bien utiliser une arme empoisonnée.

Comme vous l'aurez sûrement deviné, le jeu est difficile, il faut compter sur pas mal de trial & error pour comprendre ce qui marche et ce qui ne marche pas, et vous pouvez donc vous attendre à mourir fréquemment, ce qui fait clairement de The Age of Decadence le D[phrase modérée pour faute de cliché]. Cela dit, le jeu a le bon goût de fournir le plus souvent un petit paragraphe de texte personnalisé en fonction de la façon dont on est mort (généralement de manière ignominieuse), ce qui permet de donner une saveur appréciable à ses nombreux échecs.

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Dans tous les cas, le jeu est équilibré de telle manière qu'il est obligatoire de se spécialiser, et quel que soit le build choisi, un playthrough donné ne permet de voir au maximum qu'un petit tiers du contenu total . Le jeu est pensé pour être expérimenté au travers de multiples playthroughs, qui en donnant différents points de vue sur les mêmes événements permettent véritablement de saisir tous les enjeux des luttes de pouvoir dans lesquelles votre personnage se retrouve impliqué. Il y a cinq factions principales, ce qui donne au total de l'intérêt à cinq parties différentes (un peu plus en réalité, la faction noble ayant différentes ramifications en fonction du choix de l'une des trois maisons à laquelle s'allier). Si ça vous semble démesuré, rassurez-vous, c'est en réalité très abordable car vu l'étendue de l'éventail de choix possibles, le jeu est au total assez court : un premier playthrough durera en moyenne une quinzaine d'heures, et les playthroughs suivants peuvent être bien plus rapides (quand on sait ce qu'on fait, il est possible de facilement terminer le jeu en moins de deux heures).


Cela m'amène à la caractéristique selon moins la plus intéressante du jeu, et qui n'est curieusement pas du tout mise en avant dans la communication officielle : la méta quête, qui n'est à aucun moment donnée explicitement, mais qui se dévoile au fur et à mesure des parties pour peu que l'on soit un minimum curieux. Le jeu se déroule dans un univers de science-fiction fantasy post-apocalyptique chez les romains. Bon dit comme ça, ça a l'air complétement absurde, mais en réalité, le tout est réellement cohérent et intéressant. L'idée est que l'équivalent local des romains avaient autrefois bâti une civilisation florissante et technologiquement incroyablement avancée, mais à la suite d'une guerre plusieurs siècles avant les événements du jeu, tout s'est effondré dans des circonstances pas très claires, et la société actuelle a régressé à un niveau technologique qui ressemble beaucoup plus à celui des romains qu'on connait.

La grande question est alors : mais que s'est-il passé exactement il y a trois cent ans ? La majorité de la population est trop occupée à tenter de survivre au sein de cités états déchirées par des luttes intestines pour en avoir quelque chose à foutre, mais il reste ça et là des historiens et autres érudits qui tentent d'élucider le mystère. Chacun a son propre point de vue et ses biais sur la question, et ils ne sont pas forcément beaucoup plus fiables que les conteurs de tavernes colportant des légendes, qui une fois débarrassées de leurs enjolivements, sont elles aussi autant de points de vue sur la catastrophe d'antan. Les quelques artefacts rescapés de l'ancienne civilisation peuvent aussi constituer des indices, mais encore faut-il comprendre leur utilité, qui s'est perdue il y a bien longtemps, et découvrir la fonction d'une babiole ancienne achetée pour une bouchée de pain à un clodo sur la place du marché constitue quasiment une quête en soi. Finalement, le meilleur moyen d'en savoir plus reste d'aller directement sur le terrain et d'explorer les rares vestiges encore debout, mais c'est souvent plus facile à dire qu'à faire.

Bref, pour peu que l'on se prenne au jeu, le rpg se transforme en jeu d'enquête historique, et au fil des indices récoltés -nécessitant parfois une séquence d'actions alambiquée à peu près impossible à trouver du premier coup- sur de multiples playthroughs, il est possible de se faire peu à un peu une idée, qui à défaut d'être à 100 % une certitude -aucune source n'étant complétement fiable vu l'ancienneté des événements-, représentera une hypothèse suffisamment éduquée et documentée sur la cause de l'effondrement de la civilisation. Et The Age of Decadence n'est selon moi pas terminé lorsque les crédits défilent, mais lorsqu'en tant que joueur, on est capable d'affirmer avec confiance "C'est bon, j'ai compris ce qui a causé la chute de l'Empire Romain du Futur".


Bon, cela étant dit, voici une liste syndicale des défauts du jeu :

- Comme vous l'aurez sûrement compris, c'est old school, donc il ne faut pas être rebuté par les graphismes début années 2000 et interface fin années 90
- Il y a parfois quelques bugs "scénaristiques", du genre un dialogue qui parle d'un personnage censé être mort comme s'il était encore vivant (voire carrément un personnage tué plus tôt qui intervient dans un dialogue). Vu la complexité de l'arbre des choix, j'imagine que ce genre de souci était plus ou moins inévitable, et cela reste heureusement très rare et toujours mineur
- Le jeu propose une touche qui permet d'indiquer à l'écran tous les éléments interactifs, ce qui est très bien, mais pour une raison qui m'échappe totalement, n'indique pas les PNJs auxquels il est possible de parler, ce qui est très mal
- Bien que le jeu soit globalement bien équilibré, l'utilité des compétences sociales est assez inégale, et il n'est pas vraiment possible de le savoir avant plusieurs playthroughs. A titre d'exemple, streetwise est très important quelle que soit la faction choisie, tandis qu'etiquette me semble complétement inutile en toute circonstance (même dans la route noble où on pourrait pourtant s'attendre à ce que ça soit important)
- Le jeu fait un très gros effort pour que chaque faction propose un déroulement complétement différent et justifie son propre playthrough, mais il y a malheureusement pas mal de redondances entre les fins des routes voleur et assassin (bon ça reste somme toute un détail assez mineur à l'échelle de l'ensemble du jeu)
- Le système de points de compétences encourage à faire du méta jeu, dans le sens où il est recommandé de toujours garder une réserve de points non alloués et de ne monter une compétence qu'une fois qu'on se retrouve face à une situation qu'aucune des compétences courantes ne permet de résoudre. Ça a pour conséquence qu'on peut se retrouver à avoir l'impression que son personnage est une collection de stats abstraite plus qu'autre chose. C'est une philosophie qui est clairement assumée par les développeurs du jeu, mais qui pourra rebuter ceux pour qui le roleplay est la chose la plus importante.


En résumé, The Age of Decadence reste un "petit" jeu indé roulé amoureusement sous les aisselles, mais il tente et réussit pleins de choses intéressantes, et ne manquera pas de ravir l'amateur de rpg de l'ouest sortant des sentiers battus.

Bref, 9/10 sans hésiter