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https://www.lesinrocks.com/cinema/showg … 4-09-2016/

Réhabilitation : "Showgirls" de Paul Verhoeven n'est plus un navet !
par Jean-Marc Lalanne

Publié le 14 septembre 2016 à 17h19
Mis à jour le 14 septembre 2016 à 17h19


Elizabeth Berkley dans <i>Showgirls</i>. © Pathé Production

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En vingt ans, le film de Paul Verhoeven est passé du statut de navet repoussant à celui de brûlot politique adulé. Retour sur les paliers de cette réhabilitation en compagnie du malicieux cinéaste hollandais.

Lorsqu'au mitan des années 1990, Paul Verhoeven entreprend le montage financier de Showgirls, il est un cinéaste comblé. Installé aux USA depuis moins de dix ans, il a atteint en trois films le zénith de la reconnaissance commerciale : RoboCop (1987) a rapporté plus de 50 millions de dollars sur le seul territoire nord-américain ; le blockbuster SF avec Arnold Schwarzenegger, Total Recall (1990), puis Basic Instinct (1992), près de 120 chacun.

A bien des égards, Showgirls vise à rééditer le coup de Basic Instinct : une bombasse blonde quasi inconnue promise à un devenir star (après Sharon Stone, la jeune Elizabeth Berkley, vue dans le soap Sauvés par le gong) + une promesse de soufre et d'érotisme (le film se déroule dans les coulisses d'un show de danseuses de Las Vegas) + une relecture updatée des grands classiques hollywoodiens (si Basic Instinct se référait à Hitchcock, le scénario de Showgirls s'inspire du Eve de Mankiewicz – rivalité ambiguë d'une débutante et d'une vedette).

"On en parlait comme du plus mauvais film jamais montré"

Du rêve que fut le lancement de Basic Instinct, Showgirls est le cauchemar. A sa sortie américaine, en septembre 1995, la presse US sort les couteaux. Dans le New York Times, Elvis Mitchell parle d'un film "où personne ne sait jouer". Dans Variety, Todd McCarthy décrit une œuvre "impossiblement tapageuse et vulgaire". Dans le Chicago Reader, le grand Jonathan Rosenbaum fulmine : "Le cynisme du scénariste et du cinéaste dégouline de dégoût aussi bien pour leurs personnages que pour le public."

Contacté au téléphone dans sa villa de L. A., Paul Verhoeven se remémore cet hallali : "En effet, tout le monde semblait avoir un problème avec le film. Les critiques n'étaient pas seulement négatives. C'était une flambée d'agressivité et de haine. On en parlait comme du plus mauvais film jamais montré. Beaucoup étaient choqués par la nudité, trouvaient la façon de l'exhiber indécente, obscène."


"Evidemment, je savais que le film était féroce, dérangeant, antipathique" Paul Verhoeven

"D'autres voyaient davantage ce que j'avais voulu faire, comprenaient que Las Vegas était une métaphore de l'industrie du spectacle, d'Hollywood, et au-delà une sorte de concentré d'Amérique. Mais cette dimension critique exacerbait leur haine. Evidemment, je savais que le film était féroce, dérangeant, antipathique. Je ne peux pas dire que j'étais entièrement surpris. Mais la violence des réactions a dépassé toutes mes attentes."

Au-delà du sujet, de la dimension sarcastique de cette ascension d'une danseuse arriviste prête à casser les jambes de ses concurrentes, c'est la forme même du film qui est incomprise. Cette façon propre à Verhoeven de doubler le récit de sa propre parodie, de tout emphatiser jusqu'à la farce et au retournement complet du sens (encore contenue dans Basic Instinct, totalement déployée et donc plus lisible dans Starship Troopers) ne passe pas. "Oui, mon écriture est hyperbolique. Les comportements sont over the top tout le temps. Cette forme d'outrance, cette écriture fondée sur l'exagération, ont été jugées ridicules."

"Quelques idées rances sur le sexe et le pouvoir"

En France, le déchaînement est moins violent, mais la plupart des articles sont négatifs : François Gorin (Télérama) dit que "la chair mécanique envahit l'écran. Jusqu'au grotesque. Jusqu'à la nausée" ; dans Les Inrocks, Frédéric Bonnaud considère que Verhoeven s'égare entre "le respect de la commande et la critique qu'il croit en faire" ; dans les Cahiers du cinéma, Bill Krohn ne voit que le prétexte "à faire passer quelques idées rances sur le sexe et le pouvoir".



Plus grave que ce consensus critique négatif partout dans le monde, le film est un échec commercial cinglant. Fort d'un coût de 20 millions de dollars, il n'en rapporte que 10 sur le territoire nord-américain et ne couvre que 80% de ses frais à l'issue de son exploitation en salle.

C'est en France que frissonnent les premiers signes du recours en grâce. Dans Les Inrocks, en mars 1998, Frédéric Bonnaud invite le cinéaste Jacques Rivette à commenter un large panel de films en cours d'exploitation. Il lui soumet Starship Troopers. Celui qui fut l'un des plus affûtés critiques des Cahiers saisit l'occasion pour clamer son amour inconditionnel de Showgirls : "Showgirls est un des plus grands films américains de ces dernières années (…) L'actrice est stupéfiante ! Et comme tout Verhoeven, c'est très déplaisant : il s'agit de survivre dans un monde peuplé d'ordures, voilà sa philosophie (…)".

La déclaration fait l'effet d'un coup de tonnerre et amorce une réhabilitation critique du film. Elle remonte même jusqu'aux oreilles de Verhoeven : "Oui, j'ai eu écho des propos de Rivette. Je n'en revenais pas. C'était quasiment le premier homme à aimer le film (rires)."

"Je m'attendais à voir un navet et j'ai adoré"

Dans le même temps, une autre génération ayant beaucoup œuvré pour le rayonnement artistique français à l'international s'empare du film. Non pas la Nouvelle Vague, mais la French Touch. Dans Eden (2014), qui nous renvoie aux premières heures, début des 90's, de l'histoire du mouvement electro, la réalisatrice Mia Hansen-Løve met en scène l'un des organisateurs des soirées Respect du Queen (où ont explosé les Daft, Dimitri From Paris, Cassius, Sven Love…), David Blot, interprété par Vincent Macaigne.

On le voit organiser chez lui un ciné-club où, chaque semaine, il montre Showgirls à ses potes DJ en leur expliquant que le film est génial. Mia Hansen-Løve se souvient de ces séances d'amusant endoctrinement : "David était obsédé par le film. Il nous le montrait en boucle. Je pense que la fascination que nous partagions pour Showgirls tenait aussi à un certain dépaysement, au peu de goût que nous avions pour la France, ses mythologies. Et même doublé du regard ironique de Verhoeven, le monde que décrivait Showgirls nous paraissait plus vaste".

"Le film ne m'a pas paru cynique, mais d'une grande légèreté" David Blot

David Blot n'a pas découvert le film en salle mais un peu plus tard, en DVD : "Je n'étais pas spécialement fan de Verhoeven. J'aimais RoboCop et Total Recall mais pas Basic Instinct. J'ai d'abord regardé Showgirls parce que je trouvais Elizabeth Berkley vraiment mimi. Je m'attendais à voir un navet et j'ai adoré. Le film ne m'a pas paru cynique, mais d'une grande légèreté. Son héroïne est même très touchante."

"Le film est en fait assez moral (beaucoup plus que Basic Instinct qui est un peu crapoteux). Tout y est laid, les décors, les costumes, la musique vraiment pourrie de Prince, mais la mise en scène très gracieuse confère à tous ces éléments quelque chose d'enchanteur. Alors, c'est vrai, j'ai eu envie de le montrer à tous mes potes."

"La MGM a gagné plus de 100 millions de dollars grâce aux recettes VHS et DVD"

Durant cette période, la fin des années 1990, le marché du DVD explose. L'exploitation domestique profite souvent aux objets parés d'aucun prestige culturel, qu'on n'irait pas voir en salle mais qui, dans l'intimité du foyer, promettent des plaisirs un peu coupables. Le film connaît alors une seconde vie, passant du statut de bide à celui de produit très rentable.

"Ça a été une vraie surprise, renchérit Verhoeven. Le film est devenu un très grand succès. La MGM a racheté les droits au producteur Mario Kassar et a gagné plus de 100 millions de dollars grâce aux recettes VHS et DVD, dix fois plus que les recettes salle ! Hélas, je n'ai pas touché un dollar dessus. Sur Starship Troopers et Hollow Man, je n'ai pas manqué de modifier mon contrat et ai pu bénéficier de ces recettes à long terme (rires)."

Durant toutes les années 2000, la cote critique du film se recompose. De façon exemplaire, Jean-Francois Rauger – qui avait écrit en 1996 une critique négative dans Le Monde close par la formule cinglante : "Le vide, même avec la conscience de la vacuité, reste le vide" – milite pour la réévaluation du film dans de successives notules télé toujours plus élogieuses.

Quentin Tarantino juge le film "sauvage, fou et fun"

En septembre 2004, les Cahiers du cinéma consacrent pour la première fois un dossier important à Verhoeven (auteur jusque-là peu prisé par la revue). Dans cet ensemble, Jean-Michel Frodon écrit un texte très élogieux à l'égard de Showgirls : "La finesse du film consiste à modifier en permanence, quasiment scène par scène, la ligne de partage entre bons et mauvais, sans jamais en questionner le principe."

La réhabilitation s'amplifie dans les années 2010. Pour culminer en 2014 : tandis qu'en France sort Eden, Quentin Tarantino écrit un texte dans le LA Times où il confesse adorer le film, jugé "sauvage, fou et fun" et admire la façon dont Verhoeven ressuscite dans un produit hollywodien à gros budget un genre lié au pur cinéma d'exploitation : le strip-club movie.

Enfin, la même année, un critique de Toronto, Adam Nayman (collaborateur entre autres à la prestigieuse revue en ligne Cinema-scope) publie un essai voué au culte du film, avec un titre provocant, It doesn't suck, Showgirls, et une jolie couverture entièrement rose. Nayman compare le film à Eyes Wide Shut, analyse en détail la virtuosité de son montage et de sa mise en scène.

"Je reste attaché au travail formel que j'avais conçu, à la fluidité de cette caméra" Paul Verhoeven

Lorsqu'on demande à Verhoeven si un tel retournement le fait jubiler, il relativise : "Comme vous le savez peut-être, j'ai travaillé des années sur un livre relatant la vie du Christ. Pour cela, j'ai beaucoup fréquenté les bibliothèques universitaires. Je me souviens d'une fois, il y a une quinzaine d'années, où deux respectables professeurs s'étaient approchés discrètement de moi et m'avaient chuchoté à l'oreille, presque en rougissant : 'Vous savez, nous adorons Showgirls !" (rires) Ça, ça m'avait rempli de joie. Mais aujourd'hui, quand on me dit qu'on aime le film, ça ne me surprend plus. C'est presque devenu banal. Mais oui, quand même, je suis content. Je reste attaché au travail formel que j'avais conçu, à la fluidité de cette caméra toujours en mouvement. Mon modèle était Huit et demi de Fellini."

"C'est quand même pas non plus La Porte du paradis de Cimino"

Le retournement est si considérable que le film court presque aujourd'hui le risque inverse : décevoir pour avoir été (tardivement) couvert de trop d'éloges. David Blot prend le soin, par exemple, de préciser : "J'adore le film mais c'est quand même pas non plus La Porte du paradis de Cimino. Faut se calmer."

Dans leur hilarante pastille humoristique sur le site d'Arte, Tutotal, Maxime Donzel et Géraldine de Margerie consacrent leur numéro 100 au film et ne manquent pas de railler ce culte tardif. Un de leurs protagonistes farfelus s'exclame : "Bon, on va pas se mentir, le film est une bouse, mais comme il y a cinquante connards qui passent leur temps à hurler au génie, ils ont fini par accepter de le ressortir."

C'est donc au risque de faire grossir la meute des "connards", et sans forcément crier au génie, qu'on ne saura trop conseiller quand même de profiter de cette ressortie massive et polymorphe (salles, DVD, Blu-ray) pour (re)découvrir Showgirls, ses danseuses héroïques et guerrières, son humour raffiné, sa cruauté feinte et sa candeur cachée, et surtout son étourdissante mise en scène, à l'apesanteur ophulsienne.

Showgirls de Paul Verhoeven, avec Elizabeth Berkley, Kyle MacLachlan (E.-U., 1995, 2 h 08, reprise)

C'est en France que frissonnent les premiers signes du recours en grâce.

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