Nintentraumatisé
Cheftrottoir

https://www.lemonde.fr/idees/article/20 … _3232.html

Le vice-président au tribunal judiciaire de Paris déplore, dans une tribune au « Monde », les attaques incessantes dont la justice fait l'objet. La décision du 13 février du Conseil d'Etat sur le pluralisme à la télévision, notamment sur CNews, a été reçue avec une hostilité déconcertante.

La disparition des juges permettrait-elle de dissiper les maux de la société française ? A entendre certaines péroraisons condamnant leurs actions, il est permis de se demander si d'aucuns ne rêvent pas d'une telle éclipse. Il n'aura pas fallu patienter plus de cent heures après le décès de Robert Badinter et la célébration de son legs républicain pour observer les contempteurs zélés de la justice se ruer sur la décision rendue, le 13 février, par le Conseil d'Etat en matière de pluralisme et d'indépendance de l'information.

Saisi par l'association Reporters sans frontières, le juge administratif suprême a ainsi estimé que, pour apprécier le respect par une chaîne de télévision du pluralisme de l'information, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) devait considérer la diversité des courants de pensée et d'opinions représentés par l'ensemble des participants aux programmes diffusés en ne se bornant pas à comptabiliser le temps d'intervention des personnalités politiques, mais en étendant son analyse aux propos tenus par les chroniqueurs, animateurs et invités.

Le recours engagé contre la décision du 5 avril 2022 de l'Arcom, rejetant la demande de l'association, laquelle souhaitait qu'il soit adressé une mise en demeure à l'éditeur du service de télévision CNews, a donné lieu à la publication par le Conseil d'Etat d'un acte juridictionnel immédiatement voué aux gémonies par une kyrielle d'intervenants qui ne se distinguent guère par leur impartialité et leur pondération.

Magistrats prétendument politisés

Si chaque citoyen est naturellement en droit d'exprimer une opinion quant à une décision de justice, il ne peut toutefois le faire dans n'importe quelles conditions dès lors qu'est interdit – et pénalement sanctionné – par l'article 434-25 du code pénal le fait de « chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance ». Voilà l'exemple-type d'une disposition légale assurant la conciliation entre un droit constitutionnel – la liberté d'expression – et des exigences d'ordre public sans lesquelles la cohésion sociale ne peut être assurée.

Que penser dès lors des propos morigénant le Conseil d'Etat ainsi que ses magistrats prétendument politisés, lesquels souhaiteraient faire échec à la volonté populaire et s'arroger un pouvoir confinant à l'absolutisme ? Que dire de ces remèdes merveilleux qui impliqueraient un nécessaire rééquilibrage politique au sein de cours souveraines gangrenées par l'idéologie ? Que rétorquer à ces attaques compulsives dirigées contre des personnes dépositaires de l'autorité publique qui s'échinent à appliquer la loi au quotidien ?

La politisation des juges, quel inépuisable sujet ! Tantôt inféodé au pouvoir exécutif, tantôt serviteur aveugle d'une doctrine contraire à la démocratie, le magistrat français ne saurait jamais être considéré comme se limitant à l'application de la loi votée par les représentants du peuple. En réalité, il ne ferait que baigner avec cynisme dans l'excès de pouvoir et ne s'en extrairait que lorsqu'il aura mis à sac la République pour y substituer un autre régime. Le « gouvernement des juges », ce pouvoir profond qui dirige la France à la place des élus, corromprait tout, ne se dissimulerait plus et prendrait donc aujourd'hui des décisions liberticides.

Ah qu'elle était douce l'époque où les juges étaient aisément épurés en fonction de l'orientation du pouvoir politique ! Rendez-vous compte : 1 694 magistrats révoqués durant les premières années de la Restauration (1814-1815), soit la moitié du corps judiciaire, 1 763 parquetiers entre 1879 et 1883 et 609 juges du siège au cours de cette même année 1883, qui a d'ailleurs vu naître le Conseil supérieur de la magistrature et proclamer l'interdiction faite aux membres de l'institution judiciaire d'adopter toute délibération politique.

Ne pas céder

Si la Constitution de la Ve République garantit l'indépendance de l'autorité judiciaire, si celle de la justice administrative est un principe fondamental reconnu par les lois de la République depuis 1872, c'est justement parce que le magistrat, quelle que soit son orientation politique – il est aussi un citoyen et un électeur – n'exerce pas son office en fonction de ses convictions personnelles mais selon les normes nationales ou supranationales qu'il a juré de faire prévaloir sur toute autre considération.

Il n'a à céder ni aux passions ni aux pressions, mais cela est, à l'évidence, inaudible pour ceux qui entendent absolument démontrer le contraire à l'opinion publique. Ces derniers ont-ils jamais participé à un délibéré ou connu les exigences de la motivation d'un jugement ? Ont-ils un jour lu les conclusions d'un avocat ou entendu sa plaidoirie pour ensuite procéder à une analyse juridique de ses arguments avant de prendre une décision qui aura de lourdes conséquences sur la vie d'un individu ?

Quelle aporie… Les mêmes qui pleurent l'affaissement de l'autorité de l'Etat, dénoncent l'irrésistible augmentation de la délinquance et se lamentent de voir les institutions de la République affouillées par d'incessantes attaques déversent à l'envi leur bile sur le faîte de la justice française constitué du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat, sans lesquels la séparation des pouvoirs ne serait que cendres. N'oublions jamais que, derrière ces monuments, des milliers de magistrats sont chaque jour confrontés aux incandescences du corps social et assument courageusement leurs responsabilités.

Toute la suffisance, le mépris et la puanteur des juges rouges qui sont persuadés d'être le bien suprême et irréprochable résumé dans une tribune.

Ça vaut le coup d'œil.

Edit par Cheftrottoir (27 Feb 2024)