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Ma copine est moche car elle est facile à platiner
Fdp

Yazu - 04 Feb 2024

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"Si Argylle n'est pas notre Matthew Vaughn préféré, revenons sur la scène de l'église de Kingsman : Services secrets, et son importance dans le cinéma d'action contemporain.
Quand on pense à Kingsman : Services secrets, difficile de ne pas citer immédiatement sa plus célèbre scène d'action : le massacre en plan-séquence des membres de l'église de South Glade. Pour beaucoup, il s'agit non seulement du morceau de bravoure principal du film de Matthew Vaughn, mais aussi son retournement de situation inattendu, qui plonge avec délice le long-métrage dans une énergie anarchiste et grinçante des plus jouissives.
Pour rappel, pendant son enquête sur le magnat de la tech Richmond Valentine (Samuel L. Jackson), Harry Hart (Colin Firth) se retrouve face au sermon obscurantiste d'une bande d'illuminés chrétiens, avant de comprendre (trop tard) qu'ils font partie de "l'expérience" du grand méchant. Si Valentine distribue gratuitement au monde entier des cartes SIM, c'est parce qu'elles émettent des ondes qui transforment toute personne à proximité en tueur sanguinaire.
Certes, Kingsman et son pastiche de l'espionnage pop à la James Bond dépeignent un univers relativement violent dès leurs premières minutes, mais cette séquence clé fait figure de bascule, renforçant par ailleurs la charge anti-institutionnelle d'une œuvre plus vacharde qu'il n'y paraît. Derrière l'image de ses gentlemen espions, protecteurs de la couronne et du statu quo, Kingsman incite à tout cramer, à décapiter (littéralement) le capitalisme. Quitte à le faire avec panache, autant se faire plaisir avec un élan de barbarie totale, qui a pas mal chamboulé l'industrie.

Un plan-séquence d'anthologie
Pour la petite anecdote, Matthew Vaughn a précisé que la scène de l'église a été tournée en premier, afin de mettre l'équipe en jambes, et de ne pas être dépendant d'une fatigue généralisée une fois la production plus engagée. Une bonne idée, puisqu'à la base, la séquence devait être tournée en une semaine. Ce temps a finalement été doublé au vu de la complexité de l'approche.
D'après le monteur Eddie Hamilton (déjà présent sur Kick-Ass, mais aussi responsable du montage de Mission : Impossible 5 à 7 et de Top Gun : Maverick), 8 mois de préparation ont été nécessaires à ce petit miracle, coordonné par Brad Allan.



Ce nom est d'ailleurs l'une des raisons évidentes de cette réussite. L'artiste martial et cascadeur australien fait partie des rares à avoir pu rejoindre en 2000 la fameuse Jackie Chan Stunt Team, l'équipe maison du roi de Hong-Kong. Fort de cette expérience, Allan a commencé à s'imposer à Hollywood en tant qu'action designer. Au-delà de l'inventivité de ses chorégraphies, il s'est vite démarqué par sa manière d'implémenter organiquement la caméra comme un combattant à part entière. Par l'accompagnement des gestes des comédiens et par des mouvements d'appareil complexes, Allan a toujours prôné une lisibilité de l'action qui n'oublie pas de plonger l'objectif au cœur de la tornade.
Mieux encore, sa créativité n'a pas eu peur de convoquer une esthétique éloignée du cinéma matriciel de Hong-Kong. Qu'il s'agisse d'Hellboy 2 ou de Scott Pilgrim, la japanimation et le jeu vidéo ne sont jamais bien loin, épaulés par les outils du numérique.
Si Brad Allan avait déjà travaillé avec Matthew Vaughn sur Kick-Ass, leur collaboration sur Kingsman a permis aux deux artistes de sublimer leur potentiel respectif dans une fusion stylistique folle. Avec plus d'une centaine d'acteurs et de cascadeurs présents dans la scène, le massacre de l'église évoque les rêves humides de tout gamer adepte de beat'em all, et sa violence ininterrompue justifie à elle seule la volonté du plan-séquence.

Coup d'envoi

Le sang du Christ
Maintenant, il est important de décortiquer ce plan-séquence, qui n'en est pas vraiment un, et ce pour deux raisons. La première, c'est qu'il s'agit d'un faux plan-séquence, composé de plusieurs prises de vues raccordées par des astuces de mise en scène. On peut aisément remarquer les plus évidentes (le passage rapide d'un corps venant obstruer l'objectif, un mouvement panoramique rapide, etc), tandis que d'autres s'avèrent plus modernes. A vrai dire, Eddie Hamilton a eu une importance capitale dans ce processus.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser sur un tour de force de la sorte, le montage est primordial dans ses ajouts. A plusieurs reprises, la scène d'action profite de zooms réalisés en post-production ou d'effets de tremblement de la caméra (lors d'un impact de balle notamment) pour transiter entre ses divers morceaux, et surtout entre Colin Firth et sa doublure.

"Faites des gosses, qu'ils disaient"

La grande nouveauté de Kingsman, c'est finalement d'assumer cette totale artificialité, contrairement à la plupart des films du genre qui espèrent cacher leurs éléments de "triche". Pour ça, la séquence opte pour une vitesse d'obturation rapide de la caméra, qui atténue le flou de mouvement. Le cinéma d'action l'emploie parfois pour créer la sensation d'une saccade des corps, et ainsi accentuer le côté percutant des coups.
Néanmoins, Vaughn et ses équipes exagèrent volontairement ce rendu, qui a sans doute été accentué en post-production. Puisqu'on a la sensation de palper les photogrammes manquants de la séquence, il est beaucoup plus simple de relier deux prises au raccord imparfait. Tout passe très vite devant notre oeil, et engendre un effet cartoonesque proche du cinéma burlesque. Résultat, Hamilton s'amuse par instants à accélérer les plans, non seulement pour amplifier la violence absurde de l'ensemble, mais aussi pour mieux coller à la rythmique endiablée de la chanson Free Bird de Lynard Skynard.

"On t'attend dans la cour de récré"

Une question de rythme
La seconde raison qui fait de la scène un faux plan-séquence, c'est tout simplement la nature du résultat final. En effet, si le massacre donne la sensation d'une action interrompue, le plan est en réalité composé de trois morceaux distincts, entrecoupés des réactions d'Eggsy et de Valentine sur leurs ordinateurs.
Certains ont pu se montrer déçus par ce manque de jusqu'au-boutisme, mais il est en réalité salvateur. Avec une proposition aussi extrême, qui transforme soudainement le héros du film en meurtrier d'innocents (enfin, des innocents arriérés et toxiques, mais tout de même...), la question de l'équilibre est essentielle. A quel moment l'amusement se transforme-t-il en écœurement ? Y a-t-il matière à aller trop loin ?

Passage de flambeau

Vaughn, Allan et Hamilton se sont interrogés sur ces données, et la scène n'a cessé d'évoluer, raccourcie au fur et à mesure des projections test pour ne pas perdre de son effet de gradation galvanisant. On retient d'ailleurs de la séquence ses meilleurs enchaînements, comme cet homme à la nuque brisé qu'Harry jette par terre, avant qu'une femme ne tombe tête la première devant le pistolet de l'agent secret, qui fait feu à l'occasion.
Aux côtés du vidéaste Rossatron, Eddie Hamilton est revenu sur cette gestion du rythme. Encore plus dans le cadre d'un plan-séquence (qui demande à être remarqué), le moindre temps mort crée un ventre mou et la sensation que le dispositif l'emporte sur ce qu'il filme. Pour cette même raison, Kick-Ass a abandonné l'idée d'une scène d'action en prise unique, lorsque Big Daddy s'attaque à un entrepôt criminel. Alors que Nicolas Cage marche d'un point d'action à un autre, la prouesse technique se retrouvait engluée dans ces moments transitifs. Finalement, Eddie Hamilton a totalement remonté le plan, au point d'assumer des jump cuts efficaces et une rythmique particulière, fondée sur un effet d'accumulation des coups de couteau et coups de feu.



Finalement, c'est bien parce que Kingsman est un faux plan-séquence qu'il s'est montré aussi fondamental. On pourrait reprocher au cinéma d'action contemporain d'avoir transformé l'exercice de style en passage obligé de plus en plus lassant, d'Atomic Blonde à Tyler Rake, mais quelques réalisateurs se sont plu à reproduire la facticité de Vaughn. On pensera en particulier à Byeong-gil Jeong, le réalisateur de The Villainess et de Carter, qui utilise la même vitesse d'obturation pour placer sa caméra à des endroits absolument improbables (dans le frein à disque d'une moto !). Comme s'il décomposait l'action en emplissant chaque centimètre carré de l'espace, le cinéaste coréen va souvent trop loin, tout en ayant le mérite d'offrir un point de vue jamais vu sur ses scènes de baston.
Néanmoins, depuis que tout le monde a pris le train en marche, peu ont réussi à savoir doser la longueur d'un plan-séquence (et même d'une séquence d'action en général) comme celui de l'église. A force de confondre générosité et frénésie, même les chorégraphies les plus spectaculaires et meurtrières anesthésient le public à force de répéter les mêmes mouvements et les mêmes ennemis (n'est-ce pas John Wick 4...). Retenons la leçon de Matthew Vaughn : pour donner la sensation d'un morceau de bravoure monstrueux, fun et insoutenable à la fois, il faut savoir l'épurer au maximum." />