mpprrrrfffffchier

thefakeproutofprogress - 05 Jan 2024

Non mais un peu de sérieux, qui a le temps de regarder des essais d'1h+ sur un loisir d'autiste.

Bon j'ai mordu, du coup laisse-moi le temps de faire une vidéo réponse de 3h, je reviens vers toi d'ici 5 ans.

Pour répondre plus sérieusement, c'est le genre de vidéo où je me sens un peu comme ça :

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En gros, tous ses arguments autour de Mass Effect contiennent énormément d'erreurs, omissions, approximations et autres sophismes. Pris individuellement, chacun d'entre eux n'est pas forcément très grave, et on pourrait très bien mettre ça sur le compte de l'erreur honnête, mais pris dans leur ensemble, je m'interroge un peu sur son honnêteté intellectuelle, et il m'est assez difficile de prendre sa thèse au sérieux.

Je veux dire, "les rachni sont évidemment une allégorie de la peur des hommes envers les organes reproducteurs féminins !", je- quoi ? je vois même pas comment commencer à répondre à ça.

Ou alors le recours à la culpabilité par association avec l'argument "les reapers sont de l'horreur cosmique, l'horreur cosmique a été inventée par Lovecraft, Lovecraft était raciste, ergo Mass Effect est raciste", voilà quoi. Au-delà de ça, je pense qu'elle passe assez dramatiquement à côté du concept de la peur de l'inconnu, qui est bien plus profonde et universelle que "c'est la peur des noirs et des immigrés !", surtout quand ça la conduit à soutenir que la misogynie, c'est évidemment la peur de l'inconnu, c'est bien connu, les femmes c'est vraiment très mystérieux, personne ne sait comment ça fonctionne.

Bref, je ne vais pas répondre point par point à chaque élément de la vidéo, et dans un souci de pwiu afin de rester synthétique, je vais me borner à développer quelques exemples sur certains points en particuliers. Après, s'il y a certains passages de la vidéo qui t'ont interpelé, et sur lesquels tu aimerais débattre en particulier, n'hésite pas à les mentionner !

Déjà, le parallèle entre Mass Effect et la guerre en Irak, je n'y crois pas une seule seconde. Je ne suis évidemment pas dans la tête des devs, et je ne peux pas prétendre connaître avec certitude leurs opinions géopolitiques, mais déjà, Bioware n'est pas une boîte américaine, mais canadienne, et vu leur réputation de progressisme, je serais prêt à parier avec pas mal de confiance que la majorité d'entre eux étaient contre la guerre en Irak. De plus, le scénario initialement prévu pour la conclusion de la trilogie était très différent du résultat final (il a été modifié à l'arrache suite au départ de l'écrivain original entre Mass Effect 2 & 3 -d'où la fin nulle à chier réalisée dans la précipitation-), et ce scénario "original" ne cadre pas du tout avec la lecture "les reapers représentent les terroristes arabes" qu'elle propose, ce qui contredit donc complétement l'idée que les auteurs de la série étaient influencés par la guerre contre la terreur.

L'autrice semble ensuite avoir une culture historique assez douteuse. Je ne suis pas historien, donc je ne vais pas trop m'avancer là-dessus, mais affirmer que le génocide a été inventé par les européens au cours du 19e siècle me semble assez audacieux, et ça me semble ironiquement très euro centré de penser qu'au cours de l'histoire et sur l'ensemble de la planète, les européens sont les premiers et seuls à avoir eu l'idée de buter des peuples pour s'approprier leurs terres. Le premier contre-exemple au pif qui me vient immédiatement en tête sont les invasions mongoles menées par Chingghis Khan, mais je suis persuadé que quelqu'un de plus calé en histoire que moi pourra facilement trouver bien d'autres exemples sur pleins d'autres continents.

Une petite section de la vidéo est consacrée à critiquer les stéréotypes associés aux différentes races aliens, tels que "les asaris sont des bonasses séductrices et les turiens sont de valeureux guerriers", et c'est une vision très tronquée de ce que le jeu raconte (au passage, contrairement à ce qu'elle raconte, non, les turiens ne sont pas l'équivalent des elfes de l'heroic fantasy, c'est clairement les asaris qui sont dans ce cas là). C'est effectivement comme ça qu'elle sont présentées initialement, mais très vite, il devient manifeste que justement, tout ça c'est des stéréotypes au sein de l'univers de Mass Effect lui-même, et l'ensemble des 3 jeux donne largement assez d'éléments pour démontrer que chaque race alien est bien plus riche et nuancée que ce que sa caricature laisse supposer. Bref, si tout ce qu'elle a retenu de la trilogie c'est "asaris = salopes, turiens = nazis aryens", elle est passée assez spectaculairement en-dessous des messages de la série.

Et puisqu'on parle des stéréotypes de race, il est temps de passer sur l'exemple des krogans et du génophage, qui mérite qu'on s'attarde dessus vu que ça constitue un peu le cœur de sa thèse. Elle affirme que les krogans sont présentés comme des brutes sanguinaires dont le destin est inévitablement de soit s'autodétruire, soit submerger le reste de la galaxie, et que le choix de les sauver ou pas peut donc se résumer ainsi :
A - c'est eux ou nous, donc la solution rationnelle est de les génocider
B - c'est eux ou nous, mais ils font pitié, donc on va les laisser en vie, un peu comme on pourrait décider de garder dans une cage un chiot qui a la rage

C'est une vision complétement fausse de ce que raconte le jeu. Cette caractérisation des krogans comme des brutes incontrôlables est effectivement ce que l'on voit au début de la série, mais à nouveau, c'est un stéréotype, et dès Mass Effect 2, Wrex laisse entendre qu'il compte laisser les vieilles rancunes derrière lui et évoluer vers une coexistence plus pacifique avec le reste de la galaxie, et Mass Effect 3 montre ensuite qu'ils ont eu par le passé une culture aussi riche que n'importe quelle race dite civilisée, et que si on leur donne leur chance, un futur violent n'est absolument pas une fatalité.
Plus généralement, l'une des thématiques de la série est que rien n'est figé dans le marbre, et que même des siècles d'inimitiés ou de guerres peuvent être surmontés pour prendre un nouveau départ, ce qui se retrouve jusque dans le conflit central du jeu, dont l'enjeu est de mettre fin au cycle, en apparence immuable, des reapers qui viennent tous les 50 000 ans exterminer toute trace de vie intelligente.

Pour donner un autre exemple de génocide potentiel dont elle donne une vision biaisée, il y a le conflit entre les quariens et les geths. De la manière dont elle le présente, il s'agit d'un bête affrontement entre les dominants quariens qui cherchent à exterminer les geths qui veulent simplement vivre en paix, et là encore, dans le jeu c'est en réalité beaucoup plus complexe et nuancé. Dans Mass Effect 1, on a droit qu'à la version des quariens, qui se décrivent comme des victimes innocentes, et puis arrivé à Mass Effect 3, on comprend qu'ils sont en réalité en tort vu que c'est eux qui ont essayé en premier d'exterminer les geths, qui n'ont alors fait que se défendre. On pourrait alors se dire "bon bah tant pis pour leur gueule, ils ont joué et perdu, qu'ils crèvent maintenant", mais d'un autre côté, peut-on vraiment reprocher aux quariens actuels, qui n'ont rien à voir avec les crimes commis par leurs ancêtres, de souhaiter une planète pour vivre plutôt que dériver à l'infini sans attaches ?
Aucun des deux camps n'est d'ailleurs monolithique, chacun des deux a ses propre sous-factions, certaines refusant le compromis et souhaitent effectivement le génocide de ses ennemis, et d'autres qui au contraire prônent la réconciliation. Et l'autrice de la vidéo omet de préciser (un malheureux hasard sûrement) que l'issue présentée par le jeu comme objectivement supérieure à toutes les autres est celle où les quariens et les geths font finalement la paix et décident de partager ensemble la même planète. Il faut donc être d'une mauvaise foi assez infinie pour affirmer que la morale poussée par le jeu est ici que le colonialisme c'est bien.

Bon, tout cela étant dit, il y a un thème sur lequel je trouve la vidéo pour le coup pas trop déconnante, c'est celui de l'état d'exception, et effectivement Mass Effect a une relation assez ambigüe vis à vis de cette problématique. Quelle que soit la manière dont on la joue, Shepard est une barbouze qui prend continuellement des décisions de vie ou de mort en ne répondant à personne d'autre qu'à elle-même. Alors c'est quelque chose qui peut s'expliquer à la fois par les codes du space opera (où donner des enjeux intergalactiques à la moindre décision est une bonne manière de renforcer le caractère épique de l'action) et ceux du jeu vidéo d'action où le but est de fournir une power fantasy, donc il ne faut pas nécessairement aller chercher un sous-texte politique sinistre derrière tout ça, mais ça reste quelque chose qu'il est légitimement possible de critiquer.
Cela dit, là aussi, la série est plus nuancée que ce que la vidéo présente, et les jeux fournissent d'eux-mêmes à plusieurs reprises des critiques à l'encontre de Shepard qui se comporte comme juge, juré et bourreau. Ça reste léger, certes, et quoi qu'on fasse le jeu donne au final raison à Shepard vu qu'on finit par sauver la galaxie des reapers, mais c'est là.
De plus, je ne partage pas nécessairement l'interprétation des agissements de Shepard donnée par l'autrice. Celle-ci voit ça comme une dichotomie systémique entre d'un côté les races "supérieures" du conseil pour lesquelles Shepard travaille, versus les races "inférieures" qui subissent leurs décisions. Sauf que l'une des décisions finales de Mass Effect 1 est de sauver ou laisser mourir le conseil, ce qui m'incite à penser que la vraie opposition est plutôt entre Shepard, le héros ou héroïne qui sait ce qui est bon pour la galaxie, versus tout le reste de l'univers qui est trop débile pour se gérer lui-même.
D'une manière générale, la situation où une crise menace le monde/la galaxie/l'univers, mais les gouvernements/les armées/les religions officielles sont trop incompétentes et/ou corrompues pour y faire quoi que ce soit, et il faut l'intervention d'un homme ou une femme providentielle pour sauver le monde pendant que le reste de la population s'enfonce les pouces dans le cul, c'est un motif qui revient dans à peu près toutes les productions Bioware, et ça aussi, ça peut se discuter.


Pour conclure, le souci sous-jacent avec l'ensemble de cette vidéo, c'est qu'elle ne part pas d'une démarche intellectuellement saine, qui aurait été de décider d'une problématique, en l'occurrence "Mass Effect est-il une œuvre de propagande impérialiste pro génocide ?", et de répondre à cette question en se basant sur les éléments présents dans le jeu. Sauf que ça n'aurait pas donné une vidéo très palpitante vu que la réponse est "bah non, évidemment pas". A la place, l'autrice est partie de la conclusion qu'elle voulait atteindre ("oui, Mass Effect fait l'apologie du génocide"), a sélectionné les éléments qui allaient dans son sens, en les sortant si nécessaire de leur contexte, et a ignoré la très très grande masse d'éléments qui la contredisaient.
La réalité, c'est que ce n'est pas vraiment une vidéo sur Mass Effect, vu qu'elle n'a semble-t'il pas rejoué récemment aux jeux, et que d'après ses propres dires, ses "recherches" ont consisté à poser des questions sur twitter. Il est clair que sa motivation était d'évoquer le conflit à Gaza, et à partir de là, d'élargir la réflexion plus largement à l'impérialisme et au génocide. C'est un objectif qui peut tout à fait se défendre en soi, mais parce que Mass Effect aborde vaguement des thèmes en rapport, il s'est retrouvé en victime collatérale de son argumentaire, avec sous le feu des tirs les pauvres devs de Bioware soudain accusés de faire le jeu du fascisme.


Vers la fin de la vidéo, l'autrice pose la question rhétorique "combien de personnes ont saisi la possibilité offerte par le jeu de génocider une espèce entière ? impossible de le savoir !", avec le sous-entendu que les gens sont tellement matrixés par la propagande impérialiste pro-Bush que commettre un génocide dans un jeu vidéo ne choque plus personne. A nouveau, c'est faux, c'est en fait très simple à savoir. En effet, Bioware a l'habitude d'établir des statistique sur les choix effectués dans leurs jeux et de les rendre publiques, et Mass Effect 3 ne fait pas exception. On sait donc que l'écrasante majorité des joueurs et joueuses de Mass Effect 3 (96 % pour être précis) a choisi de sauver les krogans. Parce qu'à un moment, il faut être honnête, il n'y a pas besoin d'être bac +8 en philosophie politique pour déterminer que ne pas commettre de génocide est la solution moralement supérieure.

mpprrrrfffffchier (07 Jan 2024)