Les féministes britanniques ne veulent pas se baigner avec les transgenres
Des féministes londoniennes ont manifesté contre le droit de femmes transgenres à se baigner parmi leurs semblables dans un étang, affirmant vouloir défendre les conquêtes féministes. Les militants LGBT dénoncent une « hostilité ».
LE MONDE | 09.07.2018 à 04h41 • Mis à jour le 09.07.2018 à 06h49 |
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
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LETTRE DE LONDRES
Un panonceau indique « réservé aux femmes », dans le parc de Hampstead Heath à Londres, le 27 juin.
L'été, la fraîcheur de l'eau un peu boueuse des étangs du somptueux parc de Hampstead Heath, au nord-ouest de Londres, est hautement appréciée. Chacun des trois « ponds » a ses habitués : les femmes désireuses de ne pas rencontrer la gent masculine fréquentent le « ladies' bathing pond », les hommes gays préfèrent celui réservé exclusivement aux hommes, et tous les autres baigneurs choisissent l'étang « mixte ».
A la fin mai, le « men's pond » a été le théâtre d'une scène étrange que les anthropologues des siècles futurs peineront à analyser. Des femmes portant de fausses barbes y ont fait irruption au milieu des messieurs en maillot de bain, abasourdis. Les manifestantes entendaient protester contre l'autorisation accordée aux femmes transgenres de se baigner dans l'étang réservé aux femmes. « Leur présence change l'atmosphère, a expliqué Amy Desir, qui conduisait la protestation. L'étang des femmes est un endroit où les femmes viennent nager avec leurs filles dans un environnement sans hommes. Elles doivent pouvoir se baigner seins nus sans se trouver aux prises avec une personne dotée d'un pénis. »
Procédure intrusive
La bataille du « ladies'pond » de Hampstead Heath n'est que l'une des expressions d'un débat qui agite l'Angleterre : faut-il simplifier la procédure permettant de changer de sexe sur son état civil ? La loi de 2004 sur la reconnaissance du genre (gender recognition act) a déjà simplifié les démarches : la transformation physique n'est plus nécessaire et il suffit d'avoir vécu au moins deux ans comme une personne de son nouveau genre, de se soumettre à un examen psychiatrique et de payer 140 livres (158 euros). Depuis 2004, 4 910 personnes ont eu recours à cette procédure. Les militants transgenres jugent ces exigences intrusives et trop médicalisées. Ils réclament de pouvoir effectuer le changement légal en signant une simple déclaration, comme cela se fait en Belgique, au Danemark ou au Portugal.
Le Parti conservateur au pouvoir veut casser son image réactionnaire sur les questions sociétales et soutient cette réforme, en dépit du fait que seuls 18 % des Britanniques l'approuvent, selon un sondage pour Pink News, principal site LGBT britannique. Selon le gouvernement, entre 200 000 et 500 000 personnes transgenres vivent au Royaume-Uni. « Les femmes trans sont des femmes, les hommes trans sont des hommes », a déclaré devant le Parlement Penny Mordaunt, ministre chargé des femmes et des égalités, reprenant l'antienne des militants LGBT.
Le 3 juillet, Theresa May a lancé une consultation destinée à évaluer les conséquences d'une telle réforme. Les femmes à barbe de Hampstead Heath en dénoncent une : la mise en cause de conquêtes des mouvements féministes et plus généralement de mesures protectrices pour les femmes. Car la controverse est loin de se limiter au droit des femmes de se baigner entre elles.
Espaces unisexes
Si des personnes de sexe masculin peuvent se déclarer facilement de genre féminin, quid des toilettes pour femmes, des couchettes réservées aux dames dans les trains de nuit ? Les foyers accueillant les femmes maltraitées pourraient être plus exposés aux prédateurs sexuels, craignent des organisations de défense des femmes. Les partisans de la réforme, eux, mettent en avant la loi sur l'égalité de 2010 (Equality act) qui autorise justement les espaces unisexes et les protège, prévoyant que les personnes transgenres peuvent en être exclues au cas par cas si nécessaire. Déjà, ils ont obtenu de Topshop la mise en place de cabines d'essayage unisexes. La chaîne de magasins de vêtements avait été accusée de transphobie par une femme transgenre, qui s'était vu refuser l'accès aux cabines pour femmes.
Des panonceaux indiquent « réservé aux femmes » et « aux nageurs confirmés », à Hampstead Heath, à Londres, le 27 juin.
Les militants du droit des femmes craignent aussi la remise en cause des listes de candidats réservées aux femmes pour les élections. Le Labour, seul avec les Libdems à pratiquer cette mesure destinée à accélérer la féminisation de la vie politique, se trouve lui-même sous le feu des critiques des féministes. Le 1er mai, 300 membres du Labour ont démissionné du parti, selon les protestataires, pour dénoncer son projet, en cours de discussion, plus radical encore que celui du gouvernement : permettre à quiconque de s'affirmer du genre de son choix sans la moindre formalité administrative. « Il suffirait pour n'importe quel homme de se dire femme pour se faire inscrire sur une liste réservée aux femmes », arguent une douzaine de démissionnaires dans une lettre publiée par The Times.
« Nous n'avons absolument aucun problème avec les droits des transgenres, explique l'une d'elles à la BBC. Mais pourquoi serait-ce à nous de céder notre place. L'auto-identification qui consiste à affirmer "je suis qui j'affirme être" pue l'autorité et la suprématie masculine ».
Controverse d'un nouveau type
Lily Madigan, première femme transgenre à avoir été nommée déléguée du Labour dans une circonscription dont elle ambitionne de devenir députée, n'a pas caché sa colère : « 300 femmes hostiles aux transgenres (« transmisogynist women ») ont quitté le parti aujourd'hui. C'est une bonne journée », a-t-elle tweeté. Des arguments plus frappants sont aussi échangés. A Cardiff, lors d'un récent meeting, des orateurs de l'organisation féministe Woman's place ont été empêchés de parler par des intrus masqués. En avril, Tara Wolf, une militante transgenre, a été mise en examen pour avoir agressé Mary Maclachlan, une militante féministe de 61 ans au Speaker's Corner de Hyde Park, où la parole est libre. Les femmes qui mettent en cause les revendications des transgenres sont désignées par l'acronyme péjoratif de « terfs », pour « trans exclusionary radical feminists ».
La question agite aussi le mouvement syndical. Len Mc Cluskey, secrétaire général de Unite, principale organisation de travailleurs et important financeur du Labour, a signé début juillet une lettre ouverte dans le quotidien de gauche Morning Star dénonçant les agressions contre les militantes syndicales féministes. « Nous refusons la division entre notre branche femmes et notre branche LGBT », proclament les signataires, qui ont été voués aux gémonies par les militants transgenres, qu'ils accusaient de « porter le discrédit sur notre organisation progressiste ».
Au regard de ces affrontements musclés, les femmes à fausse barbe du « men's pond » de Hampstead Heath apparaissent comme la branche « humour » de protagonistes d'une controverse sociétale d'un nouveau type : les principaux opposants à la réforme de la reconnaissance du genre ne sont pas des militants de partis « réactionnaires », mais des féministes qui entendent défendre les conquêtes des femmes.