Aujourd'hui, ma principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, la Cisjordanie ». Deux pages suivent (2 sur 13, c'est dire la proportion) en défense et illustration du peuple palestinien, attitude légitime et respectable, mais qui contient difficilement la colère haineuse qui altère son flegme poétique chaque fois que, dans un débat, il est question d'Israël. Faisant le décompte des pertes de l'opération « Plomb durci » qui a provoqué la mort de plus d'un millier de gazaouis, il remarque qu'elle a fait « seulement » une cinquantaine de blessés du côté israélien, et on y sent l'ombre d'un regret, d'autant qu'il croit bon ajouter cette énormité : « Que des Juifs puissent perpétrer eux-mêmes des crimes de guerre, c'est insupportable ». Comme si quoi que ce soit, dans leur qualité, leur passé, leur souffrance, devait les préserver, les immuniser ou leur interdire de se comporter salement comme tous les hommes sous toutes les latitudes en tous temps car toute guerre est une sale guerre. Si Stéphane Hessel avait été se promener un peu plus en Israël, il y aurait croisé à sa stupéfaction nombre de maîtres chanteurs, de salauds, de maquereaux, de violeurs d'enfants, de négationnistes, de trafiquants de drogue, de tueurs en série. Après quoi suivent des considérations sur l'inévitabilité du terrorisme comme une forme d'exaspération. On croit en avoir fini mais non, deux pages plus loin, il y revient. Evoquant une marche pacifique contre le mur de séparation, il rapporte que les autorités israéliennes l'ont qualifiée de « terrorisme non-violent » puis il commente goguenard : « Pas mal… Il faut être israélien pour qualifier de terroriste la non-violence. » Imaginez un instant l'évocation de la stigmatisation des Roms par Sarkozy&Hortefeux suivie de ce commentaire : « Il faut être français pour … ».
Je dois faire un aveu: Stéphane Hessel, l'onctueux pape du bien-pensisme, me tape sur les nerfs. L'incroyable succès de son bréviaire ("Indignez vous !", 22 pages, déjà vendu à plus d'un million d'exemplaires) confirme un fort courant d'opinion pour les discours de culpabilisation de la France. En l'occurrence, elle est accusée, par l'icône, d'expulser les clandestins, de réformer les retraites ou de confier les médias "entre les mains des nantis". Hessel, faux modeste qui invite à la dévotion devant son passé de résistant et de corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, est la caricature du Camp du Bien et de son confort intellectuel, avatar du romantisme tel que Marcel Aymé en décrit les caractéristiques dans son "Confort intellectuel", livre qui ne me quitte pas: "Le flou, le mou, le ténébreux, le narcissisme, les infinis faciles". Dans Le Monde de ce mercredi, Edgar Morin et Michel Rocard sont parmi les signataires qui réclament, pour lui, le Prix Nobel de la Paix. "Stéphane Hessel a toujours choisi le bon camp, il a toujours été dans le courant qui allait dans le sens de la paix", font valoir ses apôtres. Or la réalité n'est pas celle-ci.
L'argumentaire principal développé par Hessel dans son tout petit livre (1) concerne la Palestine. Il écrit: "Il faut absolument lire le rapport Richard Goldstone de septembre 2009 sur Gaza, dans lequel ce juge sud-africain, juif, qui se dit même sioniste, accuse l'armée israélienne d'avoir commis des < actes assimilables à des crimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances, à des crimes contre l'humanité > pendant son opération Plomb durci qui a duré trois semaines". Partant de là, "l'homme de paix" n'en finit pas de louer le patriotisme des Gazaouis et d'excuser le Hamas qui "n'a pas pu éviter que des rockets soient envoyées sur les villes israéliennes". La belle âme poursuit: "Je pense bien évidemment que le terrorisme est inacceptable mais lorsque l'on est occupé avec des moyens militaires infiniment supérieurs aux vôtres, la réaction populaire ne peut pas être que non-violente". C'est à partir du rapport Goldstone qu'Hessel se laisse aller au dénigrement unilatéral des démocraties occidentales.
Le problème est que le juge Goldstone vient de reconnaître avoir été abusé. L'information est d'ailleurs passée (curieusement?) plutôt inaperçue. Elle rend inopérantes les critiques "éthiques" portées par Hessel contre Israël, et ses valorisations de la "résistance" islamiste. Voilà que Goldstone écrit dans le Washington Post du 1 er avril : "Nous en savons bien plus aujourd'hui sur ce qui s'est passé durant la guerre de Gaza (...) Si j'avais su alors ce que je sais maintenant, le rapport Goldstone aurait été un document différent". S'il dit n'avoir aucun doute que les "crimes" commis par le Hamas étaient "intentionnels", il estime qu'il n'en est pas de même pour l'Etat juif : "Il n'y a pas eu de politique ciblant intentionnellement les civils". Sa sainteté Hessel reconnaîtra-t-elle l'injustice de ses accusations, qui se révèlent donc infondées ? Ce serait bien le moins pour un donneur de leçons de morale. Mais ce mot veut-il encore dire quelque chose quand un "grand résistant" en vient à soutenir, à travers le Hamas, le totalitarisme à l'état pur ?