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Homme déconstruit
b3y0nd

Bioware - 24 Aug 2017

Ah ça je suis tout à fait d'accord que cette saison est très auto réflexive et qu'effectivement l'effet miroir avec les deux premières saisons est omniprésent. S'il y avait d'ailleurs un thème de fond à retirer de la myriade qui sont abordés par cette S3, ce serait peut être bien celui de l'impossibilité de revenir en arrière, du poids des années et des expériences, de la réalisation tout simplement du temps qui passe et qui change l'époque et les gens, sans qu'on ne puisse jamais le rattraper. C'est très proustien à vrai dire. Ca l'est encore plus quand on s'attarde sur les personnages, entre ceux qui restent bloqués dans une époque révolue et qui de fait en deviennent soit ridicules soit extrêmement malheureux (Andy et Lucy, ou à contrario Ed et Norma), ceux qui ont réussi à avancer et à tenir compte de cet écoulement (Bobby) et enfin la nouvelle génération qui a décelé l'hypocrisie et la facticité de ses aînés et qui déjà si jeune s'engonce dans un nihilisme destructeur (le petit fils Horne et la fille de Shirley). Je ne parle là que des personnages évoluant encore à Twin Peaks, je pense qu'une lecture différente doit être appliquée au reste de la saison.


Celle ci serait possiblement plus analogue à l'esprit des premières saisons en ce qu'elle serait la radiographie effectivement de notre époque, en particulier celle de sa télévision , et même de sa culture au sens large. Mais tout comme celle de la première saison (ou de Mulholland) qui singeait les soap opéras et ce doux mythe d'Americana, une radiographie décalée, déviée, voire déviante, mais jamais véritablement méchante. On y retrouve tous les ingrédients des dernière lubies et des codes de la production culturelle américaine dont sont extirpés là encore le ridicule, la vanité mais aussi et surtout l'essence caractéristique de notre monde contemporain. L'ultra violence, le culte de l'anti héros, les intrigues à énigmes sans queue ni tête, l'apparence et l'argent comme guide des comportements sont des éléments très actuels et que Lynch distille tout en en décalant la compréhension habituelle. C'est toujours le décalage qui révèle la réalité d'un objet, et je trouve que la série illustre parfaitement quels sont les véritables ressorts sous terrains de la fascination qu'exercent les succès de cette époque que sont Breaking Bad, Narcos, Game of Thrones et consorts.


Et enfin bien sur, dernier volet de ce triptyque, l'art comme espérance, l'art comme horizon, l'art comme délivrance. La mise en scène est omniprésente, tantôt joueuse, séductrice effrayante, sans compter ces travaux directement plastiques où Lynch triture brutalement la texture des images et utilise toute la potentialité de son art jusqu'à son maximum, son point de tension absolu. Au sein d'une mégalomanie propre à tous les grands artistes où il se pose au coeur même de la série comme un démiurge total.


Au final tout cela est très post moderne (c'est pas toujours un gros mot), même si, décalage encore, contrairement à une caractéristique qu'on associe souvent à ce mouvement, je trouve que cette saison ne manifeste aucun cynisme. C'est limite cela que je trouve de plus beau dans cette oeuvre, malgré l'humour mordant, la farce et la légère moquerie omniprésents; transparaît ici véritablement une sincérité, une envie, et au final une véritable compassion et compréhension (tragique peut être mais néanmoins une compréhension) envers le monde contemporain, et cela s'illustre par le fait que malgré toute cette logorrhée, la série reste parfaitement visible et intéressante pour tout un chacun. Elle ne requiert au final aucune référence et ne verse dans aucun intellectualisme. Et pour finir, quoi de mieux pour traduire cela que le personnage de Cooper, magnifique, totalement vierge au monde, dont la candeur et l'absence de conditionnement social éclaire et révèle tout le monde alentour. C'est exactement comme l'idiot de Dostoïevsky, un personnage dont le décalage complet (encore) avec la société, sous couvert du ridicule et de la débilité, est au final extrêmement libérateur. Un véritable saint qui révèle aux personnes qui l'entourent tous les carcans qui les oppressent, les fictions qui les emprisonnent, les habitudes et automatismes qui les empoisonnent. Et ce non pas par son action, mais bien par l'observation désarçonnante qu'en font des personnages trop engoncés dans les écueils et les expériences traumatisantes qui les ont forgés, jusqu'à ce qu'ils en oublient de penser véritablement à eux mêmes et à leur environnement. Et c'est cela en définitive le message le plus beau de la série.


Tout ça pour dire que je pense qu'avec cette saison Lynch a voulu aller bien plus loin qu'un simple jeu du chat et la souris avec ses fans et les 20 ans d'attente. Je la vois vraiment comme un manifeste, presque total si l'on peut dire, mais effectivement dans le cadre d'une réflexion en miroir sur ce qu'est Twin Peaks et son oeuvre plus généralement.