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Chronique : Ne pas confondre jeu vidéo et art

Réflexions hautement philosophiques - Par Caracolad - 04 Aout 2008 19:09:17






Cette image dramatique pourrait nous résumer l'état actuel du jeu vidéo.


Pourquoi tout ce bonheur ? Pourquoi cet assemblage de sourires écarlates ? Pourquoi ces gens n'en finissent t-ils plus de s'entre-congratuler dans leur bien-être vide de sens ? Où sont donc passés les autres sentiments humains, tels la jalousie ou la haine ? La fin de leur conversation en dit long sur la mentalité en vigueur : la présence d'une odeur nauséabonde (« something stinky ») est ici unanimement répudiée, comme si la moindre anormalité devait être systématiquement bannie de ce monde lisse, propre sur lui, où seules convivialité et joie de vivre ont droit de séjour.

Les conférences E3 de Microsoft et de Nintendo ont permis de vérifier cette tendance, qui va en s'amplifiant dans le média jeu vidéo. Chez Microsoft, c'est un canapé blafard et rectiligne qui servit de prétexte. Des gens s'assirent dessus pour encourager celui qu'était resté debout, pour le pousser à frétiller avec encore plus de vigueur son gros cul sur des party games stupides. Façon Nintendo. On a affaire ici à un pur plagiat psychique, au siphonnage en règle du cerveau aseptisé de Shigeru Miyamoto.



Le canapé Ikea : voilà ce qui tue le jeu vidéo



Nintendo qui, du coup, est passé pour le maître d'armes de Microsoft lors de cet E3. La firme a désormais complètement assimilé le fait que pour gagner de l'argent, il soit indispensable de pas se casser le cul. Il est admis qu'une partie non négligeable de la race humaine vivant sur terre ne dispose pas des capacités intellectuelles lui permettant d'appréhender certaines subtilités culturelles et artistiques, il en vient donc à Nintendo de satisfaire cette population désavantagée, grâce à un astucieux stratagème consistant à rendre l'inutile attrayant. Miracle : ça marche à merveille, il est désormais possible de commercialiser du rien, du néant, du vide ! Les sourires feront le reste.

Du côté des vrais jeux, Nintendo ne réfléchit plus, et donc n'encourage plus son public à la réflexion. Le travail de recherche élaboré y'a vingt ans sur Mario-Metroid-Zelda a servi de base pour le catalogue définitif de la firme (oh, y'a eu Pikmin et Geist depuis, autant pour moi). Mais en 2008, cet univers a davantage pour fonction d'identifier la marque auprès du public que de l'alimenter. C'était flagrant lors de la conférence E3, où on voyait parfois les quelques restes du passé glorieux de la firme remonter à la surface comme des cadavres; réemployés là sans motif de fond, juste pour la référence symbolique. Il fallait écouter ce main theme Mario complètement putréfié, déterré à l'occasion d'une espèce de symphonie mortuaire à la wiimote. Glauque.



On comprend toutefois que Nintendo ait eu envie de changer de stratégie



Alors certes chez Sony ou chez certains éditeurs tiers, il semble encore subsister quelques projets artistiquement couillus, sans concessions ni conformisme; qui au milieu de toute cette mélasse crépusculaire nous paraissent inespérés. Au-delà même de la qualité de leur gameplay, ces jeux-là tentent de se rendre suffisamment atypiques pour nous transmettre des émotions. Le prochain Prince of Persia, par exemple ? Son développement est intéressant : Ubisoft a pris soin de référencer tous les éléments poétiques présents dans les jeux vidéo existants (le très cliché trio Ico-Okami-SotC en tête), afin de les concasser frénétiquement, et pop ! Ça nous donne une espèce de best-of de tous les raffinements esthétiques qu'ont pu s'inventer ailleurs. Hé mais on était pas censé être en quête d'audace là ? A moins qu'audace soit un synonyme de facilité, la langue française étant bien facétieuse.

Cherchons encore. Côté scénario, y'aurait pas un jeu vidéo qui voudrait nous improviser un freestyle narratif saupoudré d'un brillant engagement contestataire, des fois ? Haze ? Haha. Metal Gear Solid 4 ? Ce coup-ci, les développeurs ont dû condenser tout ce qu'a pas pu être raconté auparavant dans la série, en poussant très fort pour que tout puisse rentrer dans le jeu. Ce qui ne laisse absolument aucune marge de manœuvre pour une quelconque improvisation stylistique : l'urgence alimentaire ayant poussé Konami à rationner en premier lieu les fanboys désirant enfin découvrir si Meryl avait ou pas couché avec Snake dans MGS1, parce que merde à la fin, on voudrait savoir.

Killer 7, lui, avait réussi le pari d'un scénario intelligent et décomplexé. C'est d'ailleurs pour ça qu'il s'est beaucoup moins bien vendu que MGS4.



Le joueur, par Edouard Manet



Du côté des vraies bonnes alternatives à venir, Dead Space fait peur à voir. A croire que le très familial Electronic Arts est devenu fou pour mettre en chantier un survival au design atypique (réhabilitation du masque de soudure), dans lequel le joueur passe son temps à se faire démembrer. Saluons également l'effort de Little Big Planet, qui tentera de faire comprendre à Nintendo qu'on peut être convivial sans être abrutissant. Mais n'est-ce pas le moment venu dans cette chronique pour citer l'inénarrable « prochain jeu de la Team Ico » ?! Toujours là pour assurer la caution artistique par défaut, lui, hein !

Et puis sur PC, sachez qu'il est encore moins facile d'avoir des softs originaux d'envergure, une majorité de joueurs n'étant pas encore au courant que depuis 1995, il est sorti autre chose que des FPS, des TPS et WoW. Mais les petits développeurs et autres amateurs s'activent, et parient sur Steam, qui permet de mettre facilement en avant des produits indépendants.

Vous noterez que j'ai (volontairement) omis de parler des jeux nippons bien barrés, parce que tout comme les mangas ou la culture japonaise dans son ensemble, ils ne méritent même pas d'exister.



Homme de goût/casual attardé : il reste difficile de ménager la chèvre et le chou



Alors quoi ? C'est tout ? Ben... On sait bien que le joueur moyen est pas réputé pour jouir d'une grande maturité intellectuelle. Un peu plus que le joueur casual certes, mais bon... S'il se met à exiger un jeu avec du vrai gameplay dedans, c'est déjà pas mal. Le fait qu'il soit jeune explique en grande partie son manque d'attrait pour des trucs un peu moins formalistes : après tout lui ce qu'il veut c'est juste pouvoir se cacher derrière un muret en pierres sèches pour shooter son adversaire caché derrière le muret d'en face. Il surkiffe ces multiples jeux d'action à flingues qui se révèlent finalement inoffensifs, dénués de toute violence psychologique, dont le seul acte de transgression est de nous imposer de légères gerbes de sang, qui s'évaporent docilement dans les airs comme des pétales de rose.

Mais alors si on quitte le monde de la préadolescence, y'a pas de VRAI public pour des productions un peu plus bigarrées ? Pour des oeuvres qu'oseraient se rendre inaccessibles au lieu de vouloir attirer toute la famille ? Qui sauraient dévier leur sujet au point de se rendre immorales ? Qu'emprunteraient un délire visuel radical ? Qu'auraient envie de se sortir du carcan scénaristique habituel pour lorgner vers l'expérimental ou la critique (lucide) de notre société ? Le public qu'exigerait ces choses-là, on le trouve en masse dans n'importe quel autre domaine culturel. Le jeu vidéo est pas encore prêt pour ça ? Ou bien est-ce déjà trop tard ?

Des polygones on peut en façonner dans tous les sens qu'on veut, aujourd'hui c'est plus la technique qui bride la créativité. C'est les moyens financiers, et le joueur. Et tant que le joueur aura pas envie de jouer à autre chose, les éditeurs continueront à ne pas financer autre chose ! Mince, tout ce bavardage pour en arriver à une conclusion aussi idiote, ça valait le coup dis donc.

Bref, si malgré tout vous voulez vous satisfaire du marché actuel, soyez paresseux ou simple d'esprit, mais surtout n'oubliez jamais : play with your six years old sister and have a smile on your face !



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